Valeurs actuelles, 13/19 JUIN 13
Par Bruno de Cessole
En septembre 2012, deux groupes de lecteurs de
l'hebdomadaire la Vie se rendent en Algérie pour ce que les Algériens nomment "le
tourisme nostalgérique" ou "tourisme de nostalgie". Quinze jours
de voyage de Tlemcen à Alger en passant par Sidi Bel-Abbés, Oran, Médéa, Tibhirine,
Cherchell et Tipasa. Parmi eux, nombre de pieds-noirs ou fils de pieds-noirs,
et d'anciens appelés de la guerre d'Algérie. À l'invitation du journaliste et
éditeur Jean-Claude Guillebaud les accompagne un journaliste et essayiste
algérien vivant en France depuis dix-sept ans : Akram Belkaïd.
Collaborateur de journaux français et algériens, celui-ci
n'est pas retourné dans son pays depuis un reportage en 2009, son premier retour
après son départ forcé lors de la guerre civile des années 1990, durant
laquelle les journalistes faisaient l'objet d'attentats ou de menaces de mort.
Pour d'autres raisons que ses compagnons de voyage, les
retrouvailles avec l'Algérie sont pour lui source d'émotion et d'appréhension: «Impossible
de ne pas me sentir responsable d'eux, comme le ferait n'importe quel Algérien
soucieux de respecter les règles ancestrales de l'hospitalité. Impossible aussi
de ne pas me sentir comptable de ce qu'est devenu mon pays. De sa décrépitude,
de son caractère déglingué, de ses multiples défis manqués et de ses nombreux échecs.
Impossible, enfin, de rester neutre face à ce qu'ils vont voir et entendre. D'avance
[...] j'appréhende leurs jugements et les questions qu'ils ne manqueront pas de
me poser. »
Être partagé entre deux pays et entre deux cultures, se
sentir à la fois solidaire et critique, écartelé entre son attachement viscéral
à son pays natal et le regret de le voir trahir les promesses de l'indépendance,
n'est pas la position la plus confortable. De ces quinze jours de déplacements,
de rencontres, d'émotions partagées, à travers l'Algérie, l'auteur a tiré la
matière d'un carnet de voyage, écrit avec élégance et sobriété, qui oscille entre
le reportage impartial et la subjectivité assumée. Akram Belkaïd ne cache pas
les contradictions qui l'habitent, écho de celles mêmes de l'Algérie en ce
cinquantième anniversaire de l'indépendance.
Au fil des étapes, se succèdent des moments émouvants :
la visite au monastère de Tibhirine, les retrouvailles de ses compagnons avec
leurs anciens voisins, la chaleur de l'accueil réservé par les Algériens à ces
visiteurs pas comme les autres, et les moments d'agacement devant la gabegie,
la corruption, l'insupportable paradoxe d' « un pays riche avec une
population pauvre ». Si l'Algérie, note-t-il, n'a pas connu son
"printemps arabe", c'est que la population, échaudée par la guerre
civile, se méfie des révolutions dont elle sait, d'expérience, sur quoi elles
peuvent déboucher, et préfère profiter d'un intermède de paix dont elle sait le
prix et la fragilité.
Pour sa part, le journaliste, malgré l'espoir qu'il veut
placer dans l'énergie et la bonne volonté des jeunes générations, demeure
inquiet. Car la situation, juge-t-il, est la même qu'avant la guerre civile :
démocratie formelle masquant mal l'accaparement du pouvoir par une oligarchie
qui n'a que faire du bonheur des populations, conception clanique de la politique
faisant obstruction à l'alternance, non-respect des libertés fondamentales et confiscation
des richesses du pays par une minorité. Toutes les conditions sont réunies pour
une montée en puissance de la colère et la tentation d'une solution violente.
Retours en Algérie,
d'Akram Belkaïd, Carnets Nord, 224 pages, 19 €.
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Salam,Mr Belkaid,
RépondreSupprimerC'est en regardant votre interview par S.Branine sur Oumma.TV que j'ai découvert"Retours en Algérie",et j'ai donc tout de suite acheté le livre.Comme dans"un regard calme sur l'Algérie",tout la réalité concernant notre cher pays est là et l'analyse très pertinente.On est pratiquement de la même génération vous et moi et je me retrouve entièrement dans vos récits.Ce mélange de haine et d'amour qui nous envahit.L'émotion était à son comble quand j'ai lu à la fin du livre le passage suivant:"Si au moins je pouvais les oublier ou les détester,les choses seraient plus faciles.Mon attachement est semblable à un hameçon que l'on ne peut arracher.C'est une racine que l'on ne peut sectionner ou déterrer et"JE RESTE CONDAMNE A AIMER UN PAYS QUI NE CESSE DE DE M'ATTRISTER".Merci Akram,j'ai enfin trouvé un remède à mes tourments car j'ai commencé à culpabiliser du fait de ces sentiments en voyant que la majorité de nos compatriotes et notamment ceux résidant en France,penser autrement et que tout va bien pour eux quand ils retournent de vacances avec à leur bouche cette fameuse phrase"l'Algérie,cest bien,ils ont tous";Aie...
Merci encore.
Salutations Algériennes Kho!
Zine Baarir