Billets d'un retour au pays d'Accueil
Blog de Meryem Belkaïd, 19 mai 2012
Entre deux plaisanteries, entre deux nouvelles que nous échangions à propos de nos parents et de nos proches, j’ai demandé à celui dont ce billet va beaucoup parler s’il m’autorisait à évoquer son dernier ouvrage, à paraître le jeudi 23 mai en librairie. En riant j’ai commenté, c’est pas comme si je chroniquais au Monde ou dans Libé. Là, on pourrait peut-être nous accuser de népotisme, voire de clanisme. L’avantage du blog, c’est tout de même, qu’on puisse écrire ce que l’on veut.
Ou presque. Car pudeur oblige, et crainte aussi d’être soupçonnée de parti pris, ce n’est pas un exercice très simple que de parler de son frère. Aîné qui plus est. Et plus précisément de ses Retours en Algérie[1], ouvrage dont je peux écrire, car c’est mon métier que d’analyser des textes, qu’il possède un ton particulier. Peut-être celui que l’auteur cherche depuis quelques livres[2] déjà, tous lus par sa jeune sœur avec attention et grand intérêt. Ce ton, c’est cet équilibre atteint me semble-t-il entre sensibilité et rigueur d’analyse. Foi et rationalité. Journalisme et narration. J’ai comme l’impression que mon frère vient d’inventer une nouvelle façon d’écrire et je n’en suis pas peu fière.
Le sujet du livre, on l’aura compris est l’Algérie. Son pays natal. Mais plus que ça encore. Akram (vous excuserez que je désigne mon frère par son prénom, mais le nom de famille ici me semblerait bien incongru) fait partie de la génération du baby boom post indépendance. Il a grandi en Algérie, fait ses études supérieures en Algérie, il a sillonné le pays, y a occupé son premier emploi en tant qu’ingénieur. En 1988 après les émeutes d’octobre, il y a découvert sa vocation de journaliste et y a donc effectué une bifurcation qui allait radicalement changer sa vie. Il y a crée avec d’autres un journal, puis collaboré avec plusieurs titres algériens et français. Depuis Alger, il a effectué ses premiers grands reportages. Je me souviens de sa joie, alors qu’il me montrait à la dérobée – il ne fallait pas inquiéter notre mère – son visa pour l’Irak, en pleine première guerre du Golfe. Et moi les yeux brillants, admirative, me disant, moi aussi quand je serai grande je vivrai mes passions.
Cette Algérie qu’il a due quitter. Dans la précipitation. Menacé. En colère. Blessure dont on se remet difficilement.
Il l’écrit très bien, l’exil est une expérience indicible que chacun vit à sa manière. Mais lui tente de trouver les mots, de regarder la réalité du pays en face, de faire preuve d’indulgence, sans tomber pour autant dans la dénégation. En acceptant, non sans hésiter, d’accompagner un groupe de lecteurs de La Vie, il entreprend une sorte de voyage particulier qui n’est ni un reportage, ni une pérégrination touristique. Voyage qui par la présence même de ces compagnons, l’oblige à affiner son regard, à le démultiplier à pousser l’analyse pour comprendre ce qu’est devenue l’Algérie, le fossé entre ce qu’elle donne à voir et ce qu’elle est. Ce qu’on en dit et ce qu’on en rêve. Je n’en écrirai pas beaucoup plus sur le contenu du livre de peur de trop en dévoiler, mais préparez-vous à un livre passionnant, à l’écriture déliée mais dense, qui aborde des questions capitales comme le poids du passé, colonial, révolutionnaire mais aussi du passé plus récent, avec la guerre civile présente encore dans les esprits, dans les corps et dans les paysages. La jeunesse est évoquée, la place de la femme. Quelques souvenirs d’enfance. Nos parents, nos proches, nos frères, ses enfants, ses amis.
L’ouvrage pose surtout la question urgente de la construction d’un pays encore jeune de son indépendance – cinquante ans, à peine l’âge de raison – avec des pistes, des tentatives de réponse. Une inquiétude aussi. Palpable sous sa plume. Celle que l’Algérie ne s’enlise dans une impasse, une aporie politique et économique qui se paiera chèrement dans les années à venir.
Avec pudeur mais vérité l’auteur aborde dans le même temps le sujet de l’exil, le sien mais aussi celui de certains de ses compagnons de voyage dont les retrouvailles avec un pays qu’ils ont connu, rêvé ou fantasmé sont racontées avec retenue et authenticité, faisant écho à mon propre exil. Et je le sais à celui de beaucoup d’autres qui reconnaîtront la gamme d’émotions que peuvent susciter les retrouvailles, de la déception à la félicité en passant par la colère et le bonheur de renouer avec soi. Malek Haddad l’écrit si bien. On ne quitte jamais l’Algérie complètement. Et on n’y arrive jamais vraiment pour la première fois.
Peut-être est-ce là le secret de ce pays qui malgré une forte tendance au nationalisme et une manie de cultiver un particularisme qui n’est pas toujours de bon aloi reste une terre d’universalité qui s’ignore. Que l’on connaisse ou aime ce pays, qu’on ne veuille plus en entendre parler, qu’on en ignore tout ou qu’on croie à tort tout en savoir, qu’on y soit même indifférent, la lecture du dernier ouvrage d’Akram trouvera des résonances chez chaque lecteur, parce que l’alchimie de l’expérience qu’il narre, des souvenirs qu’il évoque, des faits qu’il avance et de l’analyse qu’il développe en fait un ouvrage qui paradoxalement parle de bien plus que d’un pays en particulier.
[1] Akram Belkaïd, Retours en Algérie. Des retrouvailles émouvantes avec l’Algérie d’aujourd’hui. Carnets Nord, Editions Montparnasse, 2013.
[2] Lire notamment Un regard calme sur l’Algérie, Le Seuil, 2005 et Etre arabe aujourd’hui, Carnets Nord, 2011.
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