Éric Zemmour
Le Figaro, 27 juin 2013
IDÉES
Quand un
journaliste algérien qui a fui les islamistes rencontre des pieds-noirs qui ont
fui à l'indépendance, ils se racontent des histoires algériennes.
RETOURS EN ALGERIE Des retrouvailles émouvantes avec
l'Algérie d'aujourd'hui. Akram Belkaid. Editions Montparnasse. 212 pages, 19
euros
« J'AI QUITTE mon pays, j'ai quitté ma maison, ma vie, ma
triste vie se traîne sans raison », chantait, mélancolique, Enrico Macias, il y
a cinquante ans Apres les pieds-noirs, l'Algérie a aussi connu le départ de
ceux qui, il y a vingt ans, fuyaient la guerre civile et les menaces des islamistes.
Quand des acteurs des deux époques se retrouvent à Orly Sud en partance pour
leur chère terre natale, c'est le voyage de toutes les nostalgies, tous les
exils, tous les retours. Le journaliste algérien Akram Belkaïd a longtemps
hésité avant de rallier ce périple en « nostalgérie » II a eu raison de ne pas
reculer. II nous en livre un récit sensible, essayant de démêler honnêtement la
confusion de ses sentiments. II nous décrit sans fard la rencontre entre des
Français qui ont honte de leur passé de colonisateur et des Algériens qui ont
honte de leur présent de « pays riche à la population pauvre », entre des
Français qui rêvent de l'Algérie et des Algériens qui rêvent de la France. Les
contacts sont chaleureux, spontanés, sans apprêt ni hypocrisie. L'Algérien est
rude mais accueillant II est reste fidèle à la tradition hospitalière arabe-berbère
et musulmane II est surtout un des derniers peuples du monde qui n'ait pas été
encore perverti par le tourisme de masse, qui ait garde une innocence, une
fraicheur, une sincérité quand il lance la formule sympathique bien que fautive
« Soyez LA bienvenue ». Les pieds-noirs avec qui l'auteur voyage ne sont ni des
boutefeux ni des revanchards.
« Dans ce groupe, personne ne défend l'Algérie française
», note-t-il sans insister Pourtant, il y aurait de quoi insister , et la défendre
aussi. Ecoles, routes, hôpitaux contre exploitation des indigènes, gégène des
paras contre massacres de civils du FLN : le combat n' aura pas lieu faute
de combattants Belkaïd gagne la première manche, mais perd aussitôt la seconde,
celle de l'Algérie moderne. A la question « Qu'avez-vous fait de votre indépendance
? », il n'a pas de réponse flatteuse. Quand on lui fait remarquer que l'Algérie
est sale, pas entretenue, qu'il n'y a même pas de toilettes publiques en ville,
que les habitants ne prennent pas soin de l'espace public, du bien commun, il
ne peut que baisser la tête, honteux. II est lui-même sans tendresse pour ses
élites algériennes corrompues et incompétentes, qui achètent une relative paix
sociale - émaillée d'innombrables émeutes urbaines - par la manne pétrolière.
Humiliation suprême, il voit, comme ses compagnons de
voyage, des terrassiers chinois s'échiner sur la grande autoroute qui
traversera le pays d'est en ouest, alors que des millions d'Algériens sont au
chômage Des Chinois nombreux, laborieux, efficaces, qui font leurs premières
armes de nouveaux colons. L'Algérien serait-il voué à être colonisé ?
Question iconoclaste qui ne sera pas posée bien sûr. Pourtant, toute l'Histoire
de cette terre se résume à une succession de colonisateurs, romain, espagnol,
arabe, ottoman, français. Il y a dans la description que fait Belkaïd de son
propre peuple, de sa passivité et de son fatalisme, quelque chose d'Oblomov, ce
célèbre héros de la littérature russe, incarnation de l'âme slave, mélancolique
et rêveur, incapable de s'adapter au monde moderne, ne quittant jamais son
intérieur confortable et sa robe de chambre, et confiant ses affaires à un
Allemand entreprenant et travailleur qui finira par lui enlever sa fiancée.
Belkaïd préfère nous parler de « l'énergie » de la
jeunesse et se pose en héraut féministe sur le mode connu de la femme est
l'avenir de l'Algérie ; et tant pis si cette « énergie » des jeunes hommes se retourne
souvent contre les femmes « courageuses », dans un climat violent de
frustration sexuelle... Belkaïd n'a pas la tâche facile. Il navigue plus ou
moins habilement entre deux conformismes, deux idéologies dominantes, le politiquement
correct de Paris et le nationalisme d'Alger. Notre auteur est un vrai rebelle :
il parvient à se conformer aux deux. Son langage lénifiant, celui des bobos
bien- pensants qu'il côtoie dans la capitale française, est plein de dialogue
des cultures, d'échanges, de tolérance. Mais il redevient un farouche
combattant lorsqu'il s'agit de défendre la mémoire de la guerre d'indépendance,
jusqu'aux exactions et massacres du FLN. Il partage sans oser l'avouer un
certain dédain, voire le mépris certain de ses compatriotes pour leurs cousins
des banlieues françaises ; mais il reprend le discours formaté des élites
parisiennes sur les « discriminations » et la culpabilité de la France à leur
égard.
Même Albert Camus en prend pour son grade, ravalé au rang
de « pied-noir qui refuse que les Arabes prennent le pouvoir en Algérie »,
quand le grand écrivain français n'oubliait, pas, lui, que l’Arabo-musulman
avait été, comme les autres, un colonisateur, sur cette terre berbère qui fut
chrétienne pendant des siècles. Belkaïd n'est nullement hostile à la présence chrétienne
en Algérie, mais à sa place, c'est-à-dire inférieure. Il est sincèrement
scandalisé par le massacre des moines de Tibéhirine ; mais l'Église d'Algérie
n'est respectable à ses yeux que parce qu'elle a renoncé à tout prosélytisme et
donc à être elle-même - heureusement pour lui, l'islam n'a jamais eu pareille
pudeur de violette. Et, lorsque ses compagnons de voyage lui font aigrement
constater à Alger qu'une mosquée a été construite ostensiblement au-dessus d'un
monastère, il bafouille de vagues raisons, de vagues excuses, reconnaît que la
tolérance est une denrée rare même en Algérie, sans avouer honnêtement que la
logique de l'islam, depuis toujours, est de marginaliser, d'inférioriser les
religions du livre, en échange de sa protection, dans le cadre du fameux statut
de dhimmi.
Le voyage a pris fin. Les retraités pieds-noirs sont
revenus entre émotion et désillusion, entre le bonheur d'avoir retrouvé la
terre de leur enfance et la tristesse de la voir si abîmée, si négligée.
L'auteur est revenu convaincu de son attachement indéfectible à sa patrie ; il
est né et mourrait algérien ; mais comme ses compagnons de voyage, ce patriote
sincère et vibrant est rentré vivre en France. •
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