Sud-Ouest, 9 juin 2013
par Catherine Debray
AKRAM BELKAÏD
L'essayiste algérien revient dans son pays aux
côtés de pieds-noirs
Auteur du
remarquable « Être arabe aujourd'hui », publié en 2011 aux lendemains des
printemps arabes, l'essayiste et journaliste Akram Belkaïd récidive avec un
livre plus intime mais d'une grande honnêteté intellectuelle qui dit beaucoup sur
la relation toujours à vif qu'entretient l'Algérie avec la France. Sa vie
menacée, Akram Belkaid a quitté son pays pour s'installer à Paris en 1995. Le
pouvoir et le FIS s'affrontaient alors sans merci ; des années de plomb
marquées par des attentats et des assassinats que les Algériens n'ont jamais
nommées guerre civile. Ce retour sur la terre natale s'effectue à l'occasion
d'un voyage organisé par le magazine « La Vie », parmi un groupe mêlant pieds-noirs,
anciens soldats français et catholiques prônant le dialogue interreligieux.
Ce carnet de route
dresse un bilan impressionniste du pays comme de la relation franco-algérienne,
autorisant une lecture à plusieurs entrées. Lorsque l'auteur s'entretient avec
les jeunes ultras d'Alger venus défier Tlemcen, il zoome sur cette jeunesse
sans emploi qui s'invente un métier en monnayant, rue par rue, le droit des
Algérois à se garer. En tolérant une corruption à tous les étages de
l'administration, l'État et ses dirigeants ont ainsi fait de l'Algérie « ce
pays riche au peuple pauvre » et aux jeunes générations privées d'horizon
Momifiée
Lorsqu'il note
l'inquiétude du gardien d'un mausolée vandalisé, il révèle combien la majorité
des Algériens - longtemps si fiers de leur nation, fer de lance du tiers-monde-
portent la honte des années de terreur que la moindre exaction islamiste vient
raviver. Cette plaie toujours béante explique pourquoi ici le peuple a préféré
le statu quo avec le pouvoir en place plutôt qu'une révolution à la tunisienne.
Quand l'essayiste rapporte la générosité de l'accueil des Algériens à ces
pieds-noirs de plus en plus nombreux à entreprendre le voyage, il souligne
aussi qu'on soigne mieux le roumi que le Sahélien. Il pointe que l'Algérie n'en
a pas fini avec le lien colonial, pas plus qu'elle n'a dressé l'inventaire de
la guerre d'indépendance momifiée dans son récit romantique.
« Vous n'auriez pas
dû partir », lance un Algérien à un pied-noir. « Venez voir la maison, mais
c'est la mienne », explique un autre. Ces échanges à hauteur d'hommes dont les
cœurs sont pacifiés révèlent en creux combien, cinquante ans après
l'indépendance, la France et l'Algérie gagneraient à questionner sereinement
leur histoire.
Catherine Debray
« Retours en
Algérie », d'Akram Belkaïd, ed Montparnasse, 224 p, 19 € ________________________________
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